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dimanche 24 mai 2020

Honnis soient-ils ! Extrait du tome 4 : Jehan


Le dos courbé, la tête protégée par un fichu, les pans de ma cape serrés contre moi, j’avançais, penchée en avant. Mes doigts glacés, fermés autour de l’anse de mon panier, commençaient à me faire souffrir, mais pas autant que mes pieds. Malgré la paille mise dans mes sabots, mes bas en laine étaient trempés, mes orteils gelés.
Un cri d’enfant s’éleva soudain. Avais-je bien entendu ? Un petiot s’était-il perdu dans cette tempête ? Je demeurai immobile, l’oreille aux aguets, tentant de voir au-delà de la blancheur opaque qui obstruait l’horizon. Une minuscule ombre passa en courant non loin de moi, suivie de près par la silhouette d’un adulte. Le rappel du meurtrier qui sévissait toujours, sans que personne ne puisse l’arrêter me tétanisa sur place, cherchant à percer le voile cotonneux de la neige tombant en rideau pour apercevoir l’enfant et m’assurer qu’il ne faisait que s’amuser avec son père.
Dépitée de ne rien voir, je m’apprêtais à poursuivre ma route quand une voix masculine s’éleva :
— Attends-moi, ne te sauves pas !
Je me statufiai. Cette voix ! Ne ressemblait-elle pas à celle de Jehan. Mon fils jouant avec un petit garçon, ce n’était pas imaginable ! De plus, la silhouette ne lui correspondait pas du tout. Mon esprit commençait à se figer pour croire à une telle chose ! C’est en me forçant à rire de moi-même, pas vraiment convaincue ou rassurée, que je repris ma marche. Mélangés aux hurlements du vent, les sons avaient dû me parvenir déformés, finis-je par décider.
Jamais le trajet entre la bastide et ma maison ne me parut aussi long. Je me motivais à avancer en pensant que Dieu pouvait bien vouloir intervenir en nous envoyant cette froidure exceptionnelle, je ne le laisserai pas faire. Je m’opposerai à lui, à tous s’il le fallait, pour permettre à Côme d’être toujours à mes côtés à la belle saison.
J’en étais là de mes ruminations quand je m’entendis appeler. Mon cœur rata un battement. Les bourrasques créaient des murs blancs qui empêchaient de voir plus loin qu’une dizaine de pas. Je finis par reconnaître celui qui s’approchait de moi. Côme ! Que faisait-il dehors par un temps pareil ? La contrariété me donna un regain d’énergie qui me permit de le rejoindre en quelques enjambées.
— Pourquoi n’es-tu pas resté à l’abri ? grondai-je à peine à sa hauteur. Où est Charles ?
Le souffle court, la respiration sifflante, Côme ne me répondit pas. Il se contenta d’entrouvrir les pans de sa cape pour me montrer le petit garçon tout sourire, les jambes passées autour de ses hanches, les poings agrippés à son gilet de laine. Ils paraissaient si heureux, si complices, ainsi blottis l’un contre l’autre que je n’eus pas le cœur de me fâcher de leur présence hors de la maison. Ma préoccupation principale fut de les y ramener au plus vite.

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