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dimanche 17 mai 2020

Honnis soient-ils ! extrait du tome 2 : Côme


Plantée au milieu de la piste, je fixai, paniquée, mon partenaire qui s’inclinait devant moi. Il m’informa que je pouvais l’appeler Pierre. Je fis une révérence et, en retour, me nommai aussi. Le vieil homme me prit la main, s’éloigna d’un pas et, sans me lâcher, se mit à tourner autour de moi. Je compris avec retard que je devais faire comme lui. Théophile se plaça à nos côtés avec une petite rouquine aux joues rougies par la timidité. Il marqua le rythme du pied avant d’entrer dans la danse.
Avec son exemple et les explications de Pierre, je n’eus aucun mal à suivre mon cavalier. Je m’amusais beaucoup, ne retournant à ma table que pour me désaltérer. La fatigue finit par avoir raison de moi. Jehan s’était allongé dans l’herbe derrière le siège dans lequel Rose s’était endormie. Je le rejoignis et m’installai sur un lit de jonc et de paille à ses côtés. Il commença à me raconter sa promenade le long du marais avec ses nouveaux copains, mais sombra rapidement dans un profond sommeil.
L’envie de m’étendre pour regarder le ciel me vint également, je n’y cédai pas. J’avais enlevé ma coiffe depuis longtemps. Mon chignon tressé n’avait pas résisté aux différentes tarentelles et farandoles auxquelles j’avais participé ; il pendait en mèches folles. Je décidai de le défaire pour le remplacer par une natte. Le ruban, mis autour de mon front par Ursuline pour tenir le voile, tomba dans un repli du haut de ma robe, dans mon dos.
J’essayai de l’attraper sans y parvenir, il était hors de portée. J’en avais besoin pour lier la tresse que je prévoyais de faire. Autour de moi, tout le monde dormait, vaincu par la chaleur. Je me tortillais, ne voulant pas être vue avec mes cheveux lâchés. Une main enleva le morceau de soie pour me le tendre par-dessus mon épaule, avant de le soustraire à mes doigts quand je tentai de m’en saisir. Je n’osai pas me retourner. Je savais pertinemment qui se tenait derrière moi et se permettait de jouer ainsi avec mes nerfs : Côme.
Je demeurai immobile dans l’ombre de l’arbre, refusant de lui donner le plaisir de me voir quémander pour récupérer mon ruban. Un frémissement me secoua quand il frôla ma nuque. Ses doigts regroupèrent mes cheveux pour les tresser et nouer le bout de soie afin d’éviter que la natte se défasse.
Incapable de calmer les battements affolés de mon cœur, je mobilisai ma volonté pour ne pas me retourner et me jeter dans ses bras. Quand enfin, je me décidai à le virer sur moi-même, son regard s’accrocha au mien. Je cessai de respirer. Nos visages se rapprochèrent irrésistiblement, inexorablement. La provocation, la fierté, la colère et l’envie de vengeance, diluées dans une communion si intense que nos souffles s’accélérèrent.
La musique reprit. Je fis un bond, regardant partout comme une biche aux abois. Cela fit rire Côme. Il me caressa la joue d’un geste discret et tendre, se releva et rejoignit les hommes qui le défiaient et le poussaient à venir faire une saltarelle[1]. Je restai à ma place, l’observant, fascinée, sauter de plus en plus haut. Les musiciens entamèrent ensuite une basse danse,[2] moins rapide, ... s’exécutant en couple.


[1] Danse où les hommes sautent de plus en plus haut en se défiant
[2] Danse lente type menuet

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