Plantée au milieu de la piste, je fixai,
paniquée, mon partenaire qui s’inclinait devant moi. Il m’informa que je
pouvais l’appeler Pierre. Je fis une révérence et, en
retour, me nommai aussi. Le vieil homme me prit la main, s’éloigna d’un pas et, sans me lâcher, se mit à tourner autour de moi.
Je compris avec retard que je devais faire comme lui. Théophile se plaça à nos
côtés avec une petite rouquine aux joues rougies par la timidité. Il marqua le
rythme du pied avant d’entrer dans la danse.
Avec son exemple et les explications de
Pierre, je n’eus aucun mal à suivre mon cavalier. Je m’amusais beaucoup, ne
retournant à ma table que pour me désaltérer. La fatigue finit par avoir raison
de moi. Jehan s’était allongé dans l’herbe derrière le siège dans lequel Rose
s’était endormie. Je le rejoignis et m’installai
sur un lit de jonc et de paille à ses côtés. Il commença à me raconter sa
promenade le long du marais avec ses nouveaux copains, mais sombra rapidement
dans un profond sommeil.
L’envie de m’étendre pour regarder le ciel
me vint également, je n’y cédai pas. J’avais enlevé ma coiffe depuis longtemps.
Mon chignon tressé n’avait pas résisté aux différentes tarentelles et
farandoles auxquelles j’avais participé ; il pendait
en mèches folles. Je décidai de le défaire pour le remplacer par une natte. Le
ruban, mis autour de mon front par Ursuline pour tenir le voile, tomba dans un
repli du haut de ma robe, dans mon dos.
J’essayai de l’attraper sans y parvenir,
il était hors de portée. J’en avais besoin pour lier la tresse que je prévoyais
de faire. Autour de moi, tout le monde dormait, vaincu par la chaleur. Je me
tortillais, ne voulant pas être vue avec mes cheveux lâchés. Une main enleva le
morceau de soie pour me le tendre par-dessus mon
épaule, avant de le soustraire à mes doigts quand je tentai de m’en saisir. Je
n’osai pas me retourner. Je savais pertinemment qui se tenait derrière moi et
se permettait de jouer ainsi avec mes nerfs : Côme.
Je demeurai immobile dans l’ombre de
l’arbre, refusant de lui donner le plaisir de me voir quémander pour récupérer
mon ruban. Un frémissement me secoua quand il frôla
ma nuque. Ses doigts regroupèrent mes cheveux pour les tresser et nouer le bout
de soie afin d’éviter que la natte se défasse.
Incapable de calmer les battements affolés
de mon cœur, je mobilisai ma volonté pour ne pas me retourner et me jeter dans
ses bras. Quand enfin, je me décidai à le virer sur moi-même, son regard
s’accrocha au mien. Je cessai de respirer. Nos visages se rapprochèrent irrésistiblement,
inexorablement. La provocation, la fierté, la colère et l’envie de vengeance,
diluées dans une communion si intense que nos souffles s’accélérèrent.
La musique reprit. Je fis un bond,
regardant partout comme une biche aux abois. Cela fit rire Côme. Il me caressa
la joue d’un geste discret et tendre, se releva et rejoignit les hommes qui le
défiaient et le poussaient à venir faire une saltarelle[1]. Je restai à ma place, l’observant,
fascinée, sauter de plus en plus haut. Les musiciens entamèrent ensuite une
basse danse,[2]
moins rapide, ... s’exécutant en couple.
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