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vendredi 22 mai 2020

Honnis soient-ils ! Extrait du tome 3 : Célestin


Célestin allait passer son troisième hiver cette année et la honte m’étreignait toujours quand je regardais en arrière. Quelle mère étais-je donc ? Quelle épouse ? Je n’avais respecté aucun de mes engagements. Comme l’avait prévu en d’autres temps mon amie Fannie, je n’avais pas résisté plus de trois ou quatre lunaisons[1] à l’envie de tenir mon fils… et mon mari dans mes bras.
À ma décharge, mon bébé s’était transformé, jour après jour, en un petit garçon adorable, mélange de la luminosité de ma fille Apolline, devenue sœur de chœur à l’abbaye Saint-Pierre de Montmajour, et de la joie de vivre de son oncle Nathaniel. Il ressemblait tant à ce dernier ! Comme lui, il portait un amour, un émerveillement quotidien sur ce qui l’entourait. Il exsudait le bonheur. Comment rester de marbre en sa présence ? Tout le ravissait, la forme d’une fleur, le cheminement d’une fourmi, l’envol d’un papillon. Un rien le faisait rire, parfait double de ma chère Apolline.
Penser à ma fille installait le manque d’elle. Je la savais heureuse dans la maison de Dieu. J’avais de ses nouvelles de temps à autre, mais c’était plus fort que moi, je m’inquiétais. Mon passé, mon enfance douloureuse dans un couvent m’empêchaient d’être pleinement sereine. Je n’avais malheureusement aucun pouvoir de décision la concernant, elle serait bientôt mariée à Dieu. Je me revis avec Côme lors de notre visite à ma chère Héloïse, partie rejoindre notre créateur depuis.
Cela me ramena à ce fils que je m’évertuais à lui refuser, réduisant par la même en cendre notre merveilleuse complicité. Une nuit plus sombre que les autres, une de celle où la noirceur du ciel a envahi votre cœur, j’avais craqué. Je m’étais rendu chez celle qui avait adopté mon bébé à peine né, Émilie. Je lui avais proposé de se reposer un peu tandis que je veillais. Dès qu’elle s’était assoupie, je m’étais approché du berceau dans lequel dormait mon petit. Après bien des hésitations, j’avais caressé sa joue veloutée avant de prendre dans mes bras le minuscule corps, avec de multiples précautions pour ne pas le réveiller. Ni vue ni connue, m’étais-je dit ensuite, pour me disculper de cet écart qui, je me le jurais à ce moment-là, ne se renouvellerait plus.
J’avais tenu encore quelque temps…
Je comprenais mieux la manière de réagir des bourreaux, leur volonté de trouver des excuses à leurs actes, de préparer leurs enfants au fait qu’adultes, ils deviendraient des assassins en leur donnant de bonnes excuses pour commettre de tels forfaits. Jour après jour, je faisais de même pour justifier mes pulsions maternelles.
Qu’il était difficile à ma raison de découvrir qu’elle n’avait pas le dessus et devait s’effacer face aux élans de mon cœur ! Je me cherchais des circonstances atténuantes, des compromissions, tel Côme en d’autres temps. Seuls les villageois nous considéraient comme maudits, pas Dieu. Alors, en quoi toucher son enfant serait-il répréhensible ? Je ne faisais rien de mal en l’aimant. Tant qu’il restait éloigné du pilori, il ne risquait rien.
Puis ma répulsion pour le métier de son père, mon éducation, le souvenir des exécutions auxquelles j’avais assisté, auxquelles j’avais participé, revenaient au premier plan. Nous n’étions pas des parents ordinaires. Comment être certaine que nos actions passées ne nuiraient jamais à notre enfant ? Dans le doute, mieux valait se tenir en retrait.
Et tout recommençait ! Jamais je ne serais libérée de mes appréhensions, de mes hésitations. Alors, je regardais vivre mon petit, de plus ou moins loin. Je saignai quand il fit ses premiers pas en direction d’Émilie, quand il bafouilla le mot « mère » en s’adressant à elle. Je priai pour enlever de mon être toute trace de haine à l’encontre de cette dernière, me réfugiant dans l’ancienne maison de Fannie, ayant fui celle dévolue à l’exécuteur en service, à savoir Jehan, mon fils aîné, pour pleurer toutes les larmes de mon corps, jusqu’à l’épuisement.


[1] Une lunaison équivaut à 28 jours

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