Le
dos courbé, la tête protégée par un fichu, les pans de ma cape serrés contre
moi, j’avançais, penchée en avant. Mes doigts glacés, fermés autour de l’anse
de mon panier, commençaient à me faire souffrir, mais pas autant que mes pieds.
Malgré la paille mise dans mes sabots, mes bas en laine étaient trempés, mes
orteils gelés.
Un
cri d’enfant s’éleva soudain. Avais-je bien entendu ? Un petiot s’était-il
perdu dans cette tempête ? Je demeurai immobile, l’oreille aux aguets, tentant
de voir au-delà de la blancheur opaque qui obstruait l’horizon. Une minuscule
ombre passa en courant non loin de moi, suivie de près par la silhouette d’un
adulte. Le rappel du meurtrier qui sévissait toujours, sans que personne ne
puisse l’arrêter me tétanisa sur place, cherchant à percer le voile cotonneux
de la neige tombant en rideau pour apercevoir l’enfant et m’assurer qu’il ne
faisait que s’amuser avec son père.
Dépitée
de ne rien voir, je m’apprêtais à poursuivre ma route quand une voix masculine
s’éleva :
— Attends-moi,
ne te sauves pas !
Je
me statufiai. Cette voix ! Ne ressemblait-elle pas à celle de Jehan. Mon fils
jouant avec un petit garçon, ce n’était pas imaginable ! De plus, la silhouette
ne lui correspondait pas du tout. Mon esprit commençait à se figer pour croire à
une telle chose ! C’est en me forçant à rire de moi-même, pas vraiment
convaincue ou rassurée, que je repris ma marche. Mélangés aux hurlements du
vent, les sons avaient dû me parvenir déformés, finis-je par décider.
Jamais
le trajet entre la bastide et ma maison ne me parut aussi long. Je me motivais
à avancer en pensant que Dieu pouvait bien vouloir intervenir en nous envoyant
cette froidure exceptionnelle, je ne le laisserai pas faire. Je m’opposerai à
lui, à tous s’il le fallait, pour permettre à Côme d’être toujours à mes côtés
à la belle saison.
J’en
étais là de mes ruminations quand je m’entendis appeler. Mon cœur rata un
battement. Les bourrasques créaient des murs blancs qui empêchaient de voir
plus loin qu’une dizaine de pas. Je finis par reconnaître celui qui
s’approchait de moi. Côme ! Que faisait-il dehors par un temps pareil ? La
contrariété me donna un regain d’énergie qui me permit de le rejoindre en
quelques enjambées.
— Pourquoi
n’es-tu pas resté à l’abri ? grondai-je à peine à sa hauteur. Où est Charles ?
Le
souffle court, la respiration sifflante, Côme ne me répondit pas. Il se
contenta d’entrouvrir les pans de sa cape pour me montrer le petit garçon tout
sourire, les jambes passées autour de ses hanches, les poings agrippés à son
gilet de laine. Ils paraissaient si heureux, si complices, ainsi blottis l’un
contre l’autre que je n’eus pas le cœur de me fâcher de leur présence hors de
la maison. Ma préoccupation principale fut de les y ramener au plus vite.